Une famille de trois personnes : les parents et un petit garçon de 6 ans. L'hôpital où il est né leur apprend que leur enfant a été échangé à la naissance et qu'ils ont élevé l'enfant d'un autre. Pendant 6 ans. Les familles se rencontrent, apprennent à se connaître. Que faire maintenant. Au delà de l'interrogation légitime sur le réalisme de la situation (est-ce possible au Japon ? j'ai appris plus tard qu'il y avait effectivement eu des cas semblables pendant la période du baby boom), le spectateur assiste au tumulte intérieur des parents, et montre, tout en délicatesse, la réaction des enfants, leurs questions, leur désir intense de plaire à leurs parents, leur joie, leur appréhension aussi devant ce qu'ils ne comprennent pas.
Hirikazu Kore-Eda est un peintre : on découvre la société japonaise par touches. L'espace de quelques secondes, on voit une maquette d'un ensemble immobilier, dont on comprend l'échelle grâce à un homme, juste derrière, qui paraît être un géant, occupant tout l'écran. Le travail de cet homme prend toute la place.
Après la terrible nouvelle, la caméra nous tord le regard dans tous les sens, dans les méandres de la route, à vive allure. Les enfants soufflent dans des sacs plastiques qu'ils transforment en ballons, puis improvisent une danse légère et poétique, en musique, dans la classe... tout à coup on oublie les problèmes des adultes.
Très peu de contacts au Japon : les rares accolades montrent l'embarras, les mains qui n'osent pas toucher l'autre, y compris chez les enfants. Et entre adultes, les seuls signes d'affection sont de petits frottements rapides dans le dos.
Mais ce que j'ai beaucoup ressenti dans le film, c'est le sentiment de la conscience du temps, de vivre des moments importants dans le temps, ce temps-là de l'enfance. Le premier jour de l'école primaire, tout le monde est rassemblé dans la classe : c'est solennel, on fait l'appel, on fait des photos aussi, bien sûr (tous les enfants du film sont à croquer).
Alors on s'interroge, sur les liens du sang, sur la paternité, sur les liens tissés entre les parents et les enfants. Sur le sens des mots, aussi. Un mot, ce mot qui fait basculer, ce mot révélateur, que le père a dit, quand il a appris la nouvelle, et dont sa femme se souvient. Et nous aussi, spectateurs, on s'en souvient. Le mot qui tue. Ainsi, le réalisateur nous fait aussi toucher du doigt le temps qui passe, le temps du film lui-même.
Le silence n'est pas occulté. Il est présent, plein de doutes et d'obscurité, comme celui, embarrassé du père après la question répétée de son fils, qui tient en un seul mot : "nande"(pourquoi).
Le titre du film "soshite chichi ni naru" signifie littéralement "et (alors) je deviens père". Le présent dit le processus, le temps nécessaire pour tisser les liens entre les humains. "Soshite" (et) implique que la phrase arrive en cours de route, elle continue ce qui avait commencé plus tôt, depuis la naissance, ce qui est là, depuis toujours, à la fois connu et inconnu, si mystérieux au creux de soi.